Raïhanyat,
Le Site Officiel De Mohamed Saïd Raïhani
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SAISON
DE
Une nouvelle écrite par Mohamed
Saïd Raïhani
Traduite par Mohamed El Kobbi
Le vieil
homme balaya de son regard les masses qui attendaient le signal de départ
pour traverser vers l’autre rive.
Épris
par un sentiment mi-cruel mi-solennel,
il murmura : Seigneur de l’univers! Deux rives juxtaposées que rien
n’unit, une semble être un festin, et l’autre un brasier!
Puis
glissa son index sur la dernière graine de son chapelet et interpella un
jeune homme plongé dans la lecture d’un livre :
- Lis-tu encore sachant que tu es sur le bord
de la migration et de la mort?
- Moi, je lis les merveilles
des «Mille et Une Nuits» .
- Et que comptent tes merveilles devant
l’épreuve qui nous attend tous ?
- Le secret des «Mille et Une Nuits» est
d’atténuer, grâce à la narration, la douleur de l’attente.
- Si c’est le cas, pourquoi nous ne nous
racontons pas des histoires pour mieux faire connaissance?
Quelques
curieux étaient secrètement à l’écoute mais leur enthousiasme les
révéla:
- Oui, que chacun de nous raconte son histoire,
les motivations et les raisons de sa migration...
- Excellente proposition, et je serais le
premier à le faire si vous promettez de m’écouter.
- Nous sommes toute ouïe à condition que tu
nous promettes à ton tour une chose.
- Laquelle?
- Sache bien qu’il n’existe plus
d’autorité ici qui pourrait t’intimider et que nous sommes tous menacés de
mort par noyade lors de cette périlleuse traversée, alors ne crains rien
et confies-toi comme si tu voyais la mort devant tes yeux.
-J’acquiesce, mes chers associés au naufrage,
et voici mon histoire.
Discours du migrant fuyant le pays des cabotins:
Le pays
est devenu un théâtre pour les cabotins. La majorité écrasante des
citoyens sont analphabètes et jouent tous le rôle des parents
responsables qui emmènent leurs enfants aux écoles. Les enseignants jouent le
rôle des précepteurs, des éducateurs et des animateurs. Les élèves, croulés
sous leurs lourds cartables et parcourant des distances incroyables, jouent les
prodiges. La télévision diffuse les résultats des examens et joue
le rassurant sur le développement du niveau académique des futurs
héritiers du peuple. Le peuple est malade et les médecins jouent le rôle des
guérisseurs. Les malades meurent et sont transportés à leur demeure dans des
véhicules banalisés qui jouent le rôle des ambulances et qui stationnent prés des foyers des défunts pour laisser leurs familles
accourir en hurlant et jouant le rôle des endeuillés …
Théâtre,
tout est théâtre … Et moi, j’ai envie de vivre même un jour loin de
cette gigantesque scène. C’est pourquoi ma décision de quitter ce pays est
irréversible.
Discours de l’exilé :
Etrangeté
et exil sont des mots que définissent tous les dictionnaires du monde et
éveillent la nostalgie des origines et de l’espérance.
Cependant,
le pire de tous les exils du monde restera la condamnation à vivre étranger
dans son propre pays, banni entre ses parents, sa femme, ses enfants, ses
proches et ses voisins sans que personne ne reconnaisse ses efforts,
ni se rappeler de son nom, ni lui concevoir une
utilité quelconque à sa vie…
C’est
cette plus haute forme des exils que je veux fuir.
Discours du migrant contre la délation :
Ici la
terre des borgnes et des longues oreilles.
Personne
ne voit et presque tout le monde excelle dans le sens de l’ouïe.
Ici pas
de place pour le silence, le calme et l’écoute de soi.
Ni de
place pour moi et mes semblables.
Nul
choix que de partir.
Discours de l’enfant fuyant la tyrannie des adultes:
Je ne
comprends pas pourquoi mes parents m’envoient dans les gares, avec une drôle de boîte et une sellette pour cirer les pompes des
inconnus.
Les
portes de l’emploi, Se sont elles toutes
refermées pour finir cireur ?!
Mes
camarades sont à l’école la journée, au conservatoire le soir, dans les maisons
de jeunesse les week-ends, voyagent pendant leurs vacances..
Mais, moi, on me prend mon cartable sur le seuil de la porte et m’ordonne
d’aller cirer les pompes des autres…
Quelle
humiliation!
Et de
qui ? De mes parents…
Moi,
j’ai longtemps pensé à mon cas : Si, dans tout le pays, l’humiliation est
tout ce qui reste en fin de compte, alors pourquoi ne pas essayer de traverser vers
l’autre rive pour mener une autre vie ?
Discours du migrant ne voulant plus de la ritournelle du
passé :
Ici,
c’est le pays du passé. Les gens se complaisent à vivre dans les souvenirs et
les relations archaïques entre célébration et sacralisation de l’illusion.
Personne
ne regarde l’horizon ni ose rêver tellement que le rêve est devenu
un gag…
Mais,
moi, je ne suis pas prêt à faire rire les autres avec mes rêves. Donc, je migre.
Discours du migrant effrayé de ne plus exister:
Dans les
autres pays mieux évolués, si tu possèdes un atout quelconque, mental ou
physique, tu pourras bien l’exploiter pour mener une vie honorable.
Ici,
même si on a le talent nécessaire et toutes les conditions réunies pour réussir
sa vie, on se trouvera à prêter tous ses membres et sa force à celui qui a tout
accaparé pour son bon plaisir. Voire entrer en concurrence avec les hordes des
mendiants pour s’agenouiller devant la seule main de la seule personne qui
monopolise à elle seule le pouvoir de donner.
L’instinct
d’exister nous fait choisir entre périr dans son milieu naturel ou foutre le
camp ailleurs.
Moi,
j’ai choisi le nouveau environnement et me voilà parmi
vous entrain de compter les secondes pour la grande traversée.
Discours du migrant fuyant la niaiserie :
Ras-le-bol
de cette vie assujettie aux refrains habituels : «Chacun pour soi!»,
«Que la ruse profite au vendeur et à l’acheteur!», «Plus
t’as les yeux grands ouverts, plus tu vois rien!» et «La loi ne protége pas les naïfs!» même si la moitié du peuple
est illettrée et l’autre moitié vit en dessous du seuil de pauvreté.
Des
slogans à n’en plus finir que les gens inconscients ressassent sans cesse
et que, moi, je ne peux plus cohabiter avec...
C’est
pourquoi, je revendique le grand départ.
Discours du migrant fuyant le pouvoir de la vassalité :
Le
pouvoir existe là où réside l’inégalité avec ses deux manifestations : la
soumission et la servitude. Le pouvoir ici n’est ni celui de l’omnipotence de
l’Etat, ni du capital, ni de la tribu, ou de la race, mais de la vassalité…
C’est le
pouvoir de celle qui a fauché les prophètes, les philosophes, les
créateurs et tous les libérateurs...
Depuis
la nuit des temps, à chaque fois qu’une nouvelle lumière surgit, le
vassal brandit ses sentences et ses menaces: «Connais tes limites! »,
«ça suffit de vous chauffer la tête!», «On ne veut de
problème avec personne!».
Le
pouvoir du vassal est sournois et latent. Mais parce qu’il est sauvagement
destructeur, et parce que sa voix est dominante et suprême, je me suis résolu à
la grande migration.
Discours de la migration permanente:
Migration
ou déportation?
Je n’en
ai aucunement choisi.
Je suis
forcé par la somme de la sécheresse, des dettes, de la vie sans eau ni
électricité, le train–train quotidien loin de l’hôpital, de la pharmacie,
du hammam, de l’école, de la gare, du marché…
Au
début, j’ai migré avec ma petite famille vers une petite ville où nous devions
tous travailler pour subsister…
Puis,
nous avons migré vers une grande ville du Sud où notre lieu de travail
nous tenait pour domicile. Ainsi, notre vie et le boulot ne faisaient qu’un…
Au bout
du chemin, le patron a vendu sa société et nous avec à un autre patron qui a
mis les clefs sous la porte et nous a jeté dehors…
Ensuite,
nous avons migré vers une ville dans le Nord où je travaillais chez des riches
qui souffraient de l’obésité et de l’impuissance sexuelle.
Parce
que je suis passé par tous les cercles de la migration, du plus étroit dans les
campagnes au plus étendu dans les villes du nord du pays, je me trouve
aujourd’hui au seuil du dernier grand cercle et de la dernière grande
migration.
Discours du migrant fuyant la volonté confisquée :
Les gens
d’ici n’ont pas de volonté.
La
volonté, ici, est allouée aux dupes et aux abrutis par des charlatans et des
prestidigitateurs…
Aux
membres de la tribu par le cheikh…
Aux
militants par le chef du parti qui est également le propriétaire des locaux et
des clefs du parti...
La
volonté qui façonne l’homme et le transforme en une force, qu’elle soit
constructive ou destructive, est tout simplement proscrite. Et moi je ne
supporte pas de vivre avec des marionnettes et des poupées.
Comment pourrais-je
changer d’avis alors que je vois partout les arbalètes des partis confisquer la
liberté des militants pour les réduire à des simples moules farcies de
docilité et de discipline, des simples puzzles en bois et des simples
chiffres qui les sert dans leurs multiples surenchères. Des militants otages
qui font la queue dans des boutiques politiques minuscules pour ressortir après
avec leurs gigantesques affiches, leurs manifestes, leur motivation à bloc dont
ils ignorent tous la finalité et des programmes qu’on dirait inspirés de
« Kalila et Dimna» d’Abdallah Ibn al-
De
l’activité mafieuse ils ont fait une action politique, des gangs un parti, de
l’arbalète un secrétaire général, de l’enlèvement une polarisation, des
otages des militants… Et les otages ne jouissent jamais de liberté individuelle.
Ceci
dit, je me purifie avant de décamper.
Discours du migrant fuyant le pays du «suicide» :
Ici,
tout est cher à part les cordes pour se pendre, les ceintures d’explosifs et
les seringues empoisonnées…
Tout est
coûteux : les fruits, la viande, le loyer, les livres…
Et moi
j’aime vivre. C’est pourquoi j’irais là où le soleil se lève pour briller
et ne jamais se coucher.
J’irais
là où l’homme est le plus cher des êtres vivants et tout le reste est à sa
portée.
Discours du migrant fuyant la culture de «l’état
d’exception» :
Etats
d’exception…
Vivre et
mourir sous l’état d’exception…
Cette
vie m’insupporte où il n’y a qu’immobilisme, conservatisme et mutisme…
Des
fêtes fades pendant lesquelles on se salue sur les seuils des foyers puis
chacun ferme sa porte pour se dévouer à déguster le méchoui annuel
et siroter le thé à la menthe. Vers le soir, commence le défilé silencieux des
badauds sur l’unique avenue de la ville : les filles avec les femmes, les
garçons avec les hommes. Et quand vient l’heure du dîner, tout le monde file
chez soi espérant une nouvelle balade à l’occasion d’une nouvelle fête qui
arrivera sûrement l’année suivante….
Quant
aux festivités, c’est le même tempo : Des groupes musicaux insipides
qui amusent des invités presque évanescents; des femmes, dans le coté du
harem, fastueusement habillées par crédit exigent de leurs filles d’être
sérieuses et posées même dans leurs danses qu’elles doivent mener discrètement
et en douceur pour avoir plus de chance d’être repérées par les yeux des
futures belles-mères et, par conséquent, d’être mariées…
C’est
pourquoi les festivités, ici, sont froides et destinées à des poupées plus
froides guidées par des mères entrepreneuses.
Froid,
tout est froid mais, moi qui cherche de la chaleur humaine, je me trouve obligé
de migrer pour la chercher.
Discours du migrant fuyant l’enfer des «tabous» :
Tous
concourent à interdire, à empêcher et à annihiler les sens et ta faculté de
raisonner… Et quand on est dépouillé de tout et que la paralysie l’atteint
totalement, ils se liguent contre l’être humain pour lui délimiter ce qu’il
doit voir, entendre, toucher, goûter, sentir et bien évidemment ce à quoi il doit
penser.
Ici,
c’est le règne de la culture de l’interdit, tous s’excitent à interdire, et
celui qui ne le fait pas doit être entrain de
concocter un nouveau genre d’interdit encore jamais passé par la tête de
personne.
Toutes les
causeries et les palabres ne tournent qu’autour de cela.
De
l’interdit à tire-larigot, des non partout, et moi je suis assoiffé
à me délecter de mon enfance et de mon innocence.
Discours du migrant fuyant la terre du «terrorisme
existentiel» :
Je ne
suis pas un immigré, je m’enfuis pour protéger mes membres et pour garder le
reste de mon corps sain et sauf.
Je n’ai
plus qu’un seul rein et je crains que l’on me le vole.
Je
rentre chez moi avant la tombée du jour et quand je sors de chez moi je m’avise
à bien choisir mes fréquentations et ne côtoie que des endroits bien populeux
de peur d’être kidnappé. Cette frayeur est devenue, pour moi, une
maladie chronique et un souci mortifère.
On m’a
volé mon rein dans une clinique, et lors de l’opération expéditive le
chirurgien a oublié son ciseau dans mon estomac, mais ce n’était qu’une
tromperie pour que je repasse à nouveau sur le billard après ma convalescence
et ainsi leur remettre entre les mains mon deuxième rein ou l’une
de mes deux testicules...
L’être
humain, ici, est pris pour une simple corbeille emplie de membres, un tas de
pièces détachées… Et moi je cherche un lieu tranquille et un pays sûr et me
voilà qui m’expatrie à la quête de mon pays / mon errance
.
Discours de l’écrivain fuyant la patrie qui fabrique
l’ignorance :
Pour qui
écris-je?
A quel
lecteur dois-je m’adresser?
Aux
ouvriers et paysans illettrés ?
Aux
étudiants défaitistes et vaincus?
Aux
chômeurs sans un rond ni un lendemain?
Aux
fonctionnaires prisonniers du triangle sacré boulot, souk et guichet
automatique?
Aux
patrons à qui le ciel a inspiré la finance et non la connaissance?
Pour
moi-même?
Et puis
pourquoi écris-je?
Est-ce
pour un nouvel ordre mondial?
Est-ce
pour la liberté et la justice ?
A-t- elle
une valeur, cette liberté dans une société qui a le trac de tout mouvement?
A –t-
elle une valeur, cette justice dans une société qui a inventé la
corruption pour éradiquer toutes les contraintes administratives?
Et où
poserais-je mes livres finalement?
Sur les
plus hautes étagères des librairies de la magie rouge, noire ou blanche ?
Ou dans
les placards des bibliothèques sous les règles, les crayons, les cahiers
et les bâtons de
Ou chez
les kiosquiers avec les invendus de la dernière semaine?
Ou
bien sur les trottoirs à côté des photos des stars et des revues
pornographiques?
Moi,
j’ai déterminé ma nouvelle destination: J’irais respirer ailleurs l’air des
valeurs nobles,
Discours de la femme fuyant le harcèlement:
Les
hommes! J’en ai connus neuf au total.
Trois
sont morts entre mes bras. Trois je les ai divorcé. Et
les trois autres m’ont répudiée…
Pourtant,
quelques gigolos me croient frustrée et qu’avec le temps je parviendrais à
m’adoucir et me familiariser avec leurs expressions obsolètes. A longueur
de temps, on veut m’insinuer que je suis malhonnête, non respectueuse et sans
protection car je n’ai pas de mari.
Le mari
n’est plus ma première préoccupation, moi. J’ai d’autres objectifs et autres
espoirs dans la vie : Etre d’abord moi-même, ce qui est de l’ordre
de l’impossible ici car la femme n’existe que dans une ombre moustachue.
Pour
cette raison, je souhaite ma migration là où je me respecterais sans
qu’il y soit le souffle d’un mâle à mes côtés.
Discours du politicien fuyant «les politiques des combines»:
Quand je
me suis engagé, au début, dans la politique pour l’action, qu’elle soit
syndicale ou juridique ou culturelle, Je sentais que je disposais d’un capital
symbolique me permettant de mener des projets en avant et pour la liberté et
l’émancipation de tous les humains...
A
l’apogée de mon action, j’ai commencé à réaliser que les choses changeaient
sans arrêt et ce que je considérais comme une praxis n’était en réalité qu’un
jeu ; ce que je prenais pour du sérieux se dénaturait pour n’être
finalement qu’une plaisanterie…
Tout le
monde rabâchait des concepts vicieux qui finissaient par les pervertir
eux-mêmes. Tous ont commencé à parler du «jeu politique»,
du «jeu électoral», du «jeu démocratique», et
bientôt ça sera absolument le tour du «jeu syndical», du «jeu
juridique», du «jeu culturel» et du «jeu religieux»…
Comme je
ne peux cautionner cette génération de pervers, je n’ai eu d’autre
choix que de partir.
Discours de l’étudiant fuyant l’escroquerie :
Je n’y
comprends plus rien!
Nous
déposons nos dossiers et nous passons le concours mais ceux qui seront
couronnés de succès sont les absents.
Lors des
élections, nous mobilisons les voisins pour qu’ils votent pour un candidat mais
le gagnant sera celui que tout le monde a boycotté.
Nous
ouvrons la télé pour regarder une émission programmée d’avance mais ce que l’on
nous transmettra en direct sera un divertissement tarte…
Ne
sachant quelle alternative pour laquelle je dois opter sans risquer qu’elle ne
soit contrefaite, j’ai décidé de m’en aller là où les volontés sont respectées
et honorées et ma décision est irrévocable.
Discours de l’entrepreneur qui a peur pour son capital:
Ici,
nous payons nos impôts comme nous payons également les pots de vin.
Lors de
notre dernière réunion à la ligue des entrepreneurs nous avons proclamé
d’une seule voix :
«Ce
n’est plus acceptable ! On paiera l’un des deux : Ou bien les impôts
ou bien les pots. Tous nos bénéfices sont engloutis par la caisse de l’Etat et
la perfidie de ses fonctionnaires.»…
Pour
cette raison, nous avons proposé de modifier l’appellation des offices du fisc
et des taxes en des offices de la corruption et des pourboires. Nous
étions un millier qui ont signé la pétition, et voici
la réponse des décideurs à notre requête :
« L’impôt
est un droit de l’Etat auquel sont assujettis tous les citoyens. Quant
aux pots de vin, ce sont vos affaires dont vous devrez bien vous occuper mais
vous devrez respecter vos devoirs envers l’Etat que vous protégez et qui vous protége»…
Je n’ai
pas d’autre possibilités de mettre en sûreté mon
capital que de le faire fuir à l’extérieur.
Discours du migrant rêvant d’une patrie alternative:
La
patrie?
La patrie , ce n’est pas un espace géographique avec des
frontières marquées sur une carte et que quelques gardes munis de leurs
kalachnikovs se relaient pour surveiller des barbelés qu’ils ont
eux-mêmes dressés.
La
patrie, c’est plutôt un ensemble de liens qui attachent l’humain à des
principes inaltérables dont il dois
être fier.
Là où
résident la dignité, l’honneur et la fierté… C’est bien là où se trouve la
patrie.
Ce n’est
pas obligatoire que je reste, durant toute ma vie, interné sous un toit entre
des murs qui ont entendu mon premier cri de naissance…
Je suis
un poisson, camarades, à qui il suffit de l’eau pour vivre. Là où il trouve de
l’eau, de quoi se nourrir et de la sécurité, le poisson trouve sa patrie…
C’est
pourquoi, moi, je migre. C’est pour chercher cette eau qui me garantit ma
survie.
Discours du migrant fuyant la terre des bagnes :
Quand
j’étais détenu, je raisonnais par la dualité «ici / dehors»…
Cette dualité,
elle seule, était suffisante pour me prédisposer à résister contre la
dévastation et les tourments et à continuer à vivre jusqu’à ma libération.
Maintenant
que je suis sorti, je ne trouve plus ce «dehors» qui constituait
le dilemme de l’équilibre psychique, mental et existentiel dans ma vie au fond
ténébreux des cellules.
A
présent, je suis parmi vous qui êtes les bénéficiaires de la meilleure
discipline, mais avec la mentalité des prisonniers.
Je
n’aperçois autour de moi que les compartiments d’un immense bagne. Ceux qui
m’entourent ne sont que de misérables détenus malgré leurs djellabas de l’Aïd
et leurs costumes de connivence. Tous ces vêtements ne sont, pour moi, que des
uniformes de prisonniers : Le lundi, je les vois porter du rose; le
mardi, du blanc rayé de noir; le mercredi du jaune…
C’est
pourquoi j’attends la traversée pour aller vivre libre parmi des gens libres.
Une voix qui chante:
«Ô
toi qui t’en vas, où pars-tu ?
Tu
finiras par revenir
Comme
tous les gens peu avisés
Qui
l’ont bien regretté avant toi et moi »
Impression clair-obscur:
Avons-nous
vécu toute cette violence individuellement sans que les uns ne connaissent le
malheur des autres?
Quelle
humiliation !
Jamais
la réalité n’a été aussi claire qu’aujourd’hui.
Notre
vie n’était pas mise à nu à ce point car nous n’étions pas intimes dans nos
salutations ni dans notre parole ni dans nos disputes ni dans notre amitié ni
dans nos rencontres ni dans nos séparations...
Nous
étions hypocrites et on subissait au retour des maladies incurables :
Diabète, paralysie, cancer et névroses diverses...
On avait
peur les uns des autres : Peur d’être vus sous notre vrai jour. C’est
pourquoi on ne voyait pas la réalité avec autant de limpidité.
Maintenant
qu’on s’est débarrassé de la peur du scandale, on est tous nus.
Quelle
infamie !
Nous
devons renoncer à la lâcheté. Nous ne méritons pas cette terre ni même cette
nation. Nous les avons offensé avec nos dix milles ans
d’existence trouillarde.
Nous
avons tous l’obligation de réfléchir et de méditer sur notre pêché.
Nous
devons migrer et ne plus revenir avant que le courage ne devienne l’attribut
essentiel de notre existence et la liberté notre mode de pensée. Notre retour
n’aura lieu que si la dignité devienne le but suprême de notre essence d’être.
Mes très
chers camarades, que suggérez-vous alors que nous sommes pris entre les
déserts et les mers: errer quarante ans dans le désert ou traverser l’univers
inconnu des mers?...
Suggestion :
Tous les
braves de l’histoire ont traversé la mer mais nous ne possédons pas le bâton
de Moïse pour fendre la mer. Nous ne possédons pas non
plus les bateaux de Tarek Ibn Ziad
pour la traverser et les brûler tous à l’arrivée...
Nous
sommes de simples bataillons d’infortunés qui n’ont rien d’autres que leurs
bras et leurs bouches.
Que pensez vous si nous buvions chacun une gorgée d’eau de
cette mer, elle s’asséchera et nous la traverserons jusqu’à l’autre rive,
en toute sécurité, à pied sec!
Réplique des arbres et des pierres:
Partirez-vous
vraiment pour nous abandonner seuls ?!
Est-ce
le genre de migration que vous croyez capable de vous purifier
réellement?!
Sachez
que toute personne qui migre porte avec lui tout ce
qu’il fuit. Vous trimballez avec vous toutes les contradictions, les
vôtres et celles de votre réalité. Celui qui part pour s’épurer de quoi que ce
soit passera sa vie à sillonner tous les pays à la recherche d’une innocence
impossible.
Il n’y a
de vraie migration que celle de vos inconvénients. Vous migrerez avec l’épée
de Damoclès sur vos têtes, jamais vous ne réussirez à
vous purifier et à vous libérer. Cette migration n’est qu’une punition qui
vient de se rajouter à votre souffrance historique.
Chorale des migrants « Fairouzis »
retroussant leurs manches et déboutonnant leurs chemises prêts
à boire la mer:
Nous
reviendrons un jour à notre quartier
Et nous
serons noyés dans les douceurs de nos souhaits
Nous
reviendrons quoique le temps passe
Et que
les distances entre nous grandissent
O mon
cœur tout exténué va tout doux
Sans
t’abandonner sur le chemin du retour
Quelle
peine que les oiseaux reviennent
Et que
nous nous restons ici!
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