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Le Site Officiel De Mohamed  Saïd Raïhani

 

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EN ATTENDANT LE LEVER DU JOUR

 

Une nouvelle écrite & traduite par Mohamed Saïd Raïhani

 

 

A la  mémoire de Mohamed Hadjoum,

dont la profession l'a amené à mourir inconnu dans les pièges enneigés  des montagnes du Riff au nord du Maroc en  1995

 

 

 

L’horloge sonne minuit:

 

Le crépitement de la radio se mêle à la lumière tremblante de la seule bougie restante. La mèche de la bougie brûle en silence dans le cercle de la lumière pâle résistant à l’envahissement de  l'obscurité.

Je ne peux plus supporter dormir dans une telle obscurité, surtout sur les tables de cette classe isolée construite sur l'épave d'un ancien cimetière aux pieds de ces chaînes montagneuses arides et oubliées ...

Comme je crains que les morts ne doivent un jour se révolter contre moi. Il se peut que je les dérange en menant une vie agitée par l’anxiété et la peur, alors qu’eux  jouissent d’une mort tranquille.

Le directeur, ce matin, m'a présenté ses condoléances pour la perte de mon collègue, Badre Badraoui, et m'a souhaité une bonne convalescence. Puis, il m'a expliqué la difficulté administrative à trouver un enseignant pour remplacer mon défunt collègue  et partager avec moi l’effectif des élèves en surnombre.  En attendant, je dois m’occuper à moi tout seul  de tout le monde.

Le directeur m'a encore conseillé d'être patient et m’a dit ouvertement de ne pas entraver le cours naturel le fonctionnement  de l'établissement en attirant mon attention à ne pas répéter la catastrophe précédente:

"Les animaux aux alentours sont très affamés!

 

Maintenant, je me demande si un tel conseil était arrivé aux oreilles du l’évadé de la prison d’à coté, aurait-il prêté  attention aux ténèbres et à la forêt?...

De tels calculs sont probablement inutiles lorsque sa propre liberté est en jeu. C’est peut-être la raison pour laquelle l’évadé était parti laissant derrière lui ses camarades, terriblement étonnés, chuchotant le lendemain matin, la nouvelle du lever du jour:

« la garde  de la prison, au cours de sa poursuite de l’évadé,  a trouvé des morceaux  d’ uniforme appartenant à un prisonnier jetés sur les arbustes où les roues d’une motocyclette renversée tournaient encore près des traces d'un corps humain qui avait roulé longtemps dans le sang avant de disparaître. »

  

 

L’horloge sonne minuit:

 

Les bouffées d'air entrant par les fissures qui parsèment ces lieux miteux enlacent  ma bougie et la font valser dans tous les sens. Je protège la mèche  avec mes deux mains  en essayant de redresser la flamme et rallonger sa vie le plus longuement possible. Ses grandes larmes glissent chaudement avant de geler sur le plateau.

La bougie  se consomme et s’accourcit. Je pulvérise des granules de  sel autour de la mèche pour l'empêcher de fendre à toute vitesse. C’est mon unique bougie et la nuit est encore longue. La nuit a toujours été interminable, sauf qu’elle était soutenable grâce à la compagnie, nous étions deux, deux instituteurs.

Nous travaillions en alternance dans cette classe abandonnée plantée entre ces montagnes arides qui accueillaient des élèves assidus , excepté dans des occasions des cérémonies de mariage, de funérailles,  pendant le début de labour et la saison des grandes pluies, de la neige, des inondations...

Parfois, certains parents venaient, emmitouflés dans un sac vide en plastique, pour solliciter le rachat de leurs enfants quand un haut débit pluvial les retenait à l’école, C’est sans aucune autre issue lorsque  les fossés et les ravins (se remplissent d’eau, les rivières sortent de leurs lits...et barrent tous les chemins labyrinthiques et tortueux qui mènent à leur domicile.

Les mauvaises conditions météorologiques nous accordaient, de temps à autre, un jour de congé en plus. Ainsi, on libérait les élèves et on fermait la porte et les fenêtres de la classe afin d’engranger de la chaleur pour la nuit. Nous arrangions les tables sous forme de deux hauts lits, étendions  nos matelas dessus, préparions du thé à la menthe pour se livrer à nos discussions coutumières.

 Pourtant les nuits éternelles d'hiver épuisaient tous nos sujets. Ainsi, nous prenions goût à lire la littérature des prisons: Des hommes jetés par hélicoptère dans des camps de détention terribles et laissés à l’abandon dans des territoires enneigés. Quand ils essayent de s’évader, ils sont rattrapés et ramenés là où ils devraient passer le reste de leur vie.

Un scénario qui se répétait dans toutes les histoires mais nous les lisions toute la nuit. Parfois, nous lisions le même roman en même temps d'une seule voix et en le clamant pour éloigner, voire retarder, la peur et la folie. La mémoire de cette classe témoigne qu'un instituteur sur deux, une fois la porte franchie, déraille et devient une proie facile à la persécution de la folie.

Vivre et travailler dans un cimetière est une chose abjecte et horrifiante. Enseigner et délirer entre des  morts qui eux se reposent pour l’éternité. Des humains morts dans un endroit mort en un temps mort. La mort absolue. Tout gît dans le silence total.

C’est pourquoi nous laissions la radio allumée toute la nuit , nous ne dormions que sur son grésillement  et nous ne rêvions que sur le sifflement de ses stations brouillées.

Nous avons appris, au fil des nuits, comment avoir le même rêve dans la même nuit. Avant de nous coucher,  Nous choisissions un sujet et nous donnions libre cours  à notre imagination afin d’en explorer tous les détails possibles et dans le rêve s’unifiaient tous nos espoirs et nos inquiétudes dans un monde  trés loin du cimetière : Un monde où la joie de vivre primait sur l’épreuve douloureuse de la mort.

Nos rêves identiques se répétaient toutes les nuits  jusqu’au jour où nous nous sommes réveillés avec une nouvelle forme de réclusion.

La porte de la classe ne voulait plus  s'ouvrir...

 

Nous l'avons poussé de toutes nos forces.

En vain.

Nous l’avons délogé de son cadre pour nous trouver devant un spectacle inouï: La neige.

Quelle blancheur!

 

Le manteau neigeux était si important qu’il nous arrivait jusqu’aux genoux et s’étendait à l’horizon en un immense tapis sans bordures. .Une page blanche et pure essuyant les traces des tombes, des sources, des fossés et des chemins autour de la classe.

La neige, restée plus longtemps que prévu,  nous menaçait davantage  c’est à ce moment là que nous commencions à nous méfier d’elle de peur qu’elle nous enterre vivants dans ce bahut, surtout que nous étions à court de nourriture.

Nous étions portés par l’espoir de voir la neige fondre dans les vingt-quatre heures à venir. Cependant, le temps stagnait  avec ses nuits sans lune et ses matins sans horizon pour séparer la blancheur et de la terre et celle du ciel. 

Subitement, un jour et au beau matin, à l’horizon lointain, de petites ombres mouvantes nous ont apparus. C’étaient des villageois qui plantaient des bâtons tout le long de leur chemin, leur méthode à eux pour reconnaître le chemin du retour. Ils plantaient leurs bâtons aussi pour sonder la profondeur de la neige et effectuer leur propre repérage  afin d’éviter à tout un chacun le danger de tomber dans les crevasses disséminées en dessous de la neige préparé principalement pour les étrangers.

La plupart des victimes sont souvent ces étrangers qui méconnaissent la géographie de la région et qui, une fois la neige fondue, se retrouvent gisant dans les puits et les fossés, ont leurs tombes creusés  à coups de balais rapides et sont enterrés en silence et sans aucun rituel.

 

 

L’horloge sonne minuit:

 

La bougie se consume continuellement. Ses grandes larmes, grandes et chaudes,  glissent  vivement avant de se congeler sur le cendrier. Elle brûle, sans émettre d’odeur. Je déteste les odeurs fortes. Même l'odeur de la peinture fraîche sur les murs de la classe me fait suffoquer. Elle me rappelle les odeurs persistantes de brûlé, et au lieu de me faire oublier les marques de l’incendie, elle ne fait que raviver le souvenir flamboyant et nauséabond dans ma mémoire.

Nous étions deux instituteurs. Nous avions l'habitude de nous réveiller tôt et de préparer le petit déjeuner ici dans cette classe et de  le prendre  en hâte sur les tables. Puis, nous préparions le déjeuner et le laissions sur le camping-gaz au fond de la classe. Ensuite, nous nettoyions l'endroit avant l’entrée des élèves,  réorganisions les tables, rangions nos couvertures pour les cacher en dessous suivant l'avertissement de l'administration au sujet de l’occupation de la classe.

En fait, si jamais le directeur supportait les six heures de marche pour nous rendre visite dans ce no-man’s-land, il nous aurait trouvé entrain de préparer notre pain au four au milieu de la classe.

Nous cuisions nos repas et notre pain nous-mêmes. C’était Badre qui s’occuppait de faire la pâte à l'intérieur de la classe, se mettant à l’abri du froid et de la pluie. Mais c’était moi à qui revenait le rôle de faire du feu. A l’aide de trois pierres équivalentes autour d’un trou je parvenais facilement à fabriquer un brasero qui nous permettait de cuire tous nos aliments.

 A la fin de chaque repas, on jetait sur les braises ardentes quelques clous pour amortir la puissance du feu et nous épargner ses effluves pendant notre sommeil.

Pendant la saison hivernale, la chaleur provenant du brasero réchauffait la classe pour en préparant une bonne nuit de repos. Nous étions habitués à cette chaleur avant de nous réveiller une nuit alertés par des odeurs de fumée et des sensations d’asphyxie, toute la classe était en feu.

Sous nos yeux hagards, des étincelles s’envolaient dans tous les sens et des flammes déchaînées dévoraient les tables, les fenêtres, la porte… Et d’un coup, tout a craqué  comme un château de cartes .

Les fenêtres se sont écroulées. Le vent qui soufflait de partout attisa le feu qui progressa inexorablement et transforma le lieu en une véritable torche.  . Il n'y avait plus de temps pour réfléchir. Nous avons vite  mouillé nos matelats pour combattre les langues déchaînées du feu. Nous frappions à tort et à travers. Il y avait des langues rouges partout qui se moquaient de nous et qui nous défiaient. Nous frappions de toutes nos forces.

Rien n’a échappé au désastre. Le tableau, les fenêtres et la porte se sont transformés à des braises .Atterrés,  Nous frappions avec tout ce qui nous restait de nos forces, celles de la détresse et du désespoir.

 

L’obscurité regagne à nouveau  le monde. Enfin, L’ob-scu-ri-té!

En attendant le lever du jour, Nous nous sommes accroupi à l’extérieur, toussant régulièrement et crachant toute l’amertume des fumées que nous avions abondamment absorbées. A la pointe du jour,  les corneilles planaient en cercle au-dessus de nous, au-dessus du cimetière. Puis les élèves sont arrivés comme des touristes. Ils se penchaient aux fenêtres pour regarder leur ancienne  classe leur offrir un spectacle d’apocalypse, essayant d'identifier leurs sièges à partir de l’emplacement des tables carbonisées.

- Là,  c’était ta place !

- Et toi, derrière moi, là-bas!

 L’ancienne classe est devenue un tas de ruines fumantes, tout a été dévoré, on ne pouvait rien identifier, sauf quelques marques spectaculaires qui jonchaient le sol, le reste n’était que Charbon. Charbon. Charbon...

 

La classe est devenue une véritable mine de charbon, noire et obscure, avec un tas de ruines fumantes. Tout a été dévoré. on ne pouvait rien identifier. Rien que du charbon. Charbon. Charbon...

 

Nous n'étions pas prêts à passer une autre nuit ici malgré l'intimidation infligée par les parents des élèves. Ils sont tous venus nous féliciter d’avoir échapper à la mort et, simultanément, s’amuser de notre peur en évoquant la sauvagerie des bêtes affamées dans la forêt avoisinante, surtout la nuit: Des loups voraces avec leurs crocs aiguisés et leur griffes prêtes à déchiqueter le premier passant…

 

 

L’horloge sonne minuit:

 

 La bougie agonise. Il n'en reste plus rien que des larmes autour de sa  mèche grillant ses dernières énergies. La bougie agonise et le matin est encore loin. Personne ne pourrait passer une seule nuit ici.

Dans le passé, bien que nous ayons été deux, la nuit nous sapait le moral et équivalait fréquemment à une crève cœur. Cependant, après l’incendie,  en dépit de la mise en garde des villageois bien avisés, nous sommes partis  bravant la nuit, la forêt et  toute sa faune. Voyager à pied n’a jamais été un problème pour nous principalement  lors des jours du souk, marché hebdomadaire, où le chemin est  emprunté par les villageois à l’aller et  au retour.  A part ces occasions,  la forêt  reste déserte sauf  des cris perçants des oiseaux effrayés sur les hauts cèdres.

L’interminable chemin roule à gauche, à droite, en haut, en bas… Le crépitement des reptiles, des deux côtés du chemin, accentue notre frayeur et nourrit notre méfiance. C’est pourquoi nous nous sommes trouvés en course avec le coucher du soleil.

Les arbres voilent l'horizon. Les détails partout dans la forêt déclinent graduellement. Les couleurs se brouillent avant de disparaître. Les nuances se tiennent partout. Nuances succédant aux nuances pour ne former finalement qu’une seule couleur: Le noir, l’obscurité…

La nuit est tombé enfin et nous ne pouvons  plus rien distinguer, même pas le bout de nos pieds. Nous allons sans doute nous fourvoyer, la lampe de poche se révélant vaine  dans une obscurité aussi totale.

La roue du prisonnier fugitif tournait toujours dans mon imaginaire. Je pourrais presque entendre son froufrou quelque part ici.

Il  faisait tout à fait noir et le chemin  paraissait encore long. Il était inévitable de s'arrêter pour se reposer. Je me suis  effondré  par terre, et me suis penché contre un tronc d'arbre  rompu de fatigue. Mes pieds enflaient dans de mes chaussures et le sommeil caressait mes paupières, mais dormir  par terre la nuit dans la forêt est une mésaventure et une vraie galère.

 J'ai pensé: “le sommeil sur les branches des arbres pourrait être beaucoup plus sûr. Il est naturellement inconfortable mais il ne s’agissait que d’une nuit éphémère”.

J’ai grimpé  à l'arbre le plus proche. Je me suis assuré de la solidité de ses branches.  J'ai appelé mon ami, qui tatonnait encore au-dessous de l'arbre, pour me rejoindre.  Il a refusé.  Son sommeil est violent.  Il ne peut pas dormir calmement et tenir sur un seul état durant tout le sommeil sur les branches d’un cèdre.  Je l'ai laissé tranquille.  Je lui ai allumé, à l’aide de ma lampe de poche, un cercle pour dormir dedans.

 Il a déployé son manteau blanc par terre dans le cercle que je lui ai  indiqué ;  il s’y est couché en s’accoudant une de ses mains, et en se réchauffant l’autre entre les cuisses, c’était sa manière habituelle de dormir. 

Quelque chose d’encombrant dans son manteau l'a dérangé.  Il s'est assis de nouveau pour chercher dans  ses poches  et il a exhibé un livre qu’il m’a remis : Un livret du caricaturiste Naji El Ali

Il s'est recouché sur son manteau blanc. Cependant, à peine ses mains se sont-elles réchauffées qu'il a déchiré l'univers avec des cris stridents en m’appelant à lui venir au secours alors que j’étais paralysé, au-dessus de l'arbre, rallumant avec ma lampe de poche un cercle, une arène dans laquelle se combattaient:

Le noir et le blanc

(Les ronflements et les appels au secours)

Le noir et l’indigo

(Les ronflements et les gémissements)

Le noir et le sang

(Les ronflements et le silence)

 

  De là-haut, perché sur l’arbre, je suivais le spectacle en  direct: Des bêtes sauvages  dévorant un ami à bout de souffle.

 

 

 

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